Fonds Rivière-Fournier : Climat artistique et littéraire

Dans les années 1890-1914, s’entrechoquent et s’entrecroisent des courants esthétiques contrastés qui reflètent le bouillonnement lié aux progrès scientifiques et techniques manifestés par les Expositions universelles, la complexité des situations sociales et politiques qui s’abîmeront dans les révolutions et la guerre, l’utopie coloniale et la découverte de l’art nègre, la recherche de ruptures avec des expressions usées. Paris demeure le centre de la vie artistique européenne, par ses salons, ses galeries et ses ateliers d’artistes.
L’art nouveau a donné des œuvres majeures à la fin du 19e siècle (Victor Horta, Alfons Mucha, Eugène Grasset,…), les mêmes et d’autres brillent encore à la décennie suivante :
Hector Guimard, Victor Lalique. Les peintres symbolistes Gustave Moreau, Odilon Redon, sont en phase avec les poètes de ce courant : Moréas, Mallarmé, Rodenbach, Maeterlinck,… et peignent « des choses imaginaires » issues de leurs rêves les plus détachés du réel.
Si l’impressionnisme en peinture décline aux premières heures du 20e siècle, Monet n’a pas encore peint ses cathédrales ni les nymphéas. Cependant les post-impressionnistes s’appellent bientôt les nabis ; ce sont Maurice Denis auquel les deux amis, Fournier et Rivière, rendent visite en 1907, Bonnard, Vuillard, Sérusier, et Gauguin qui prend une voie solitaire.
Au Salon d’Automne de 1905, de jeunes artistes Matisse, Marquet, Derain, Vlaminck, Dufy, Friesz, Rouault, présentent des œuvres qui contrastent tellement avec les autres qu’un critique se sent « parmi les Fauves », terme qui fit fortune.
Déjà Cézanne (1839-1906) a bousculé la construction du tableau et ouvre la voie au fauvisme et au cubisme (Braque, Gleizes, Metzinger, Lhote, Léger, Gris…). Le terme est utilisé pour la première fois par Apollinaire en 1910 et admis en 1911 au Salon des Indépendants. Pour rappel, Picasso peint Les Demoiselles d’Avignon en 1906-1907.

Toutefois les différents mouvements ne suffisent pas à rendre compte de toutes les expressions : par exemple Rouault se détache des Fauves et demeure à part, bien que relié à Gustave Moreau dont il est l’élève préféré et à des écrivains variés comme Huysmans, Bloy, Rivière, Fournier…
En sculpture, Rodin et Camille Claudel rompent avec le « classicisme » puissant de Bourdelle et sensuel de Maillol, ce qui n’empêche pas une admiration réciproque.
Le dimanche, en matinée, les lycéens de Lakanal, assidus aux concerts Colonne et Lamoureux savourent les œuvres de César-Franck, Massenet, Messager, Dukas, Fauré…
La musique se dégage de l’emprise de Wagner grâce à Debussy, d’abord grand admirateur, qui impose un tout autre type d’opéra avec Pelléas et Mélisande en 1902, d’après le Maeterlinck.
Les mélomanes se divisent entre farouchement hostiles et« Pelléastres » qui s’enflamment alors pour cette œuvre que Jacques Rivière verra douze fois, souvent en compagnie de Fournier. L’opéra de Moussorgski Boris Godounov, achevé en 1870 et donné à Paris en 1908 dont Debussy connaissait la partition dès 1890, ravive en Jacques Rivière son amour de Pelléas. Mais Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky créé à Paris en 1913 provoque le deuxième choc musical majeur pour le fin critique qu’est Rivière.
Les Ballets russes, dirigés par Diaghilev, présents à Paris pendant les saisons 1906 à 1913 introduisent la musique russe (Glinka, le Groupe des Cinq), et bouleversent le regard sur la danse magnifiée par Nijinsky, danseur puis chorégraphe, et sur le décor (Bakst, Gontcharova, Larionov). De son côté, l’américaine Isadora Duncan qui danse pieds nus amène une liberté dégagée des contraintes classiques.