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Violence d'écrire (La) / Annie Ernaux
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Voyons, voyons, où donc pourrions-nous nous installer pour lire le texte de ce beau discours d'Annie Ernaux, en remerciement du prix Formentor qui lui a été décerné en octobre 2019, et qui nous met directement au fait de l'affaire qui a toujours été celle de l'auteur de "La place" : le sentiment d'être illégitime, de ne pas être à sa place devant le jury. Quel jury ? Pas le Goncourt tout de même. Non, un jury beaucoup plus puissant, qui ne considère pas qu'il soit endetté envers qui que ce soit - ce qui entraînerait aussitôt une obligation de courbette, un signe d'allégeance, l'acceptation d'une sublimité qui ne supporte pas l'objection. Autrefois, on appelait cela la " bourgeoisie ", ou bien simplement un " chez nous " redoutable dans ses manières, pas les plus visibles, mais celles qui assurent la surveillance sociale. On boit le thé, avec simplicité, mais le jardin est surveillé comme un domaine royal. Annie Ernaux sait tout cela mieux que personne, elle le sait tellement qu'elle y ressent la présence d'un nouvel ennemi : le sentiment d'avoir vaincu l'humiliation sociale, d'un triomphe soudain semblable à une propriété de maison de campagne, de disposer d'une certaine suprématie des profondeurs du moi: ç'a été long, mais nous y sommes : " je n'ai plus honte d'avoir honte ", je peux regarder cette victoire avec tranquillité. Avant de commencer à écrire pour de bon, cela mérite un peu de repos, et même un peu de solennité - le Nobel étant souffrant, le prix Formentor nous ouvre les bras.
Voir le numéro de la revue «La Nouvelle revue française, 640, Janvier 2020»
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