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Jean-Claude Michéa, le penseur capital / Christian Authier
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Depuis la parution de son premier essai, "Orwell, anarchiste tory", Jean-Claude Michéa n'a cessé de déployer une critique aussi radicale qu'originale du libéralisme, "idéologie moderne par excellence". Ainsi, "L'Enseignement de l'ignorance", "L'Empire du moindre mal" ou "Le Complexe d'Orphée" comptent parmi les jalons d'une pensée aux échos grandissants réhabilitant la common decency (socle de valeurs morales élémentaires dont George Orwell faisait des "gens ordinaires" les premiers dépositaires), ainsi qu'une part de conservatisme face à un "progrès" destructeur ou une certaine idée du populisme dans le sillage de Christopher Lasch. Michéa démontra aussi comment le libéralisme, tel qu'il s'est élaboré depuis les Lumières et dont "le monde sans âme du capitalisme contemporain" est l'aboutissement logique, forme un bloc. De fait, ce phénomène total et sans limites, sans frontières et en mouvement perpétuel, a séduit la droite par sa version économique (extension du marché) et la gauche par sa version culturelle et politique (extension des droits individuels et apologie de la transgression). En résumé : la droite vénère le marché en maudissant la culture qu'il engendre, la gauche affirme combattre la logique du marché pour se prosterner devant la culture qu'il engendre. Son nouvel ouvrage, "Extension du domaine du capital", constitue une parfaite introduction à l'oeuvre de celui qui fut professeur de philosophie en lycée à Montpellier. Profond, subtil, décapant, offensant les vaches sacrées de l'époque comme le wokisme ou le "colonialisme vert", ce texte nous rappelle que Jean-Claude Michéa reste fidèle au précepte de son cher Orwell : "Parler de liberté n'a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu'ils n'ont pas envie d'entendre."
Voir le numéro de la revue «Revue des deux mondes, 2023-8, 01/11/23»
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