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Régis Jauffret : "Se débarasser des personnages au bout de deux pages, c'est très agréable" / Baptiste Liger
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Les plus courtes sont parfois les meilleures. Et ça n'est certainement pas Régis Jauffret qui dirait le contraire. Il y a onze ans, l'auteur d'Asiles de fous et d'Univers, univers avait surpris les lecteurs avec un improbable pavé de plus de mille pages, contenant cinq cents histoires noires de deux pages : "Microfictions". Devenu (déjà) un classique du genre, ce volume semblait destiné à rester une expérience unique pour l'écrivain. Qui a changé d'avis et s'est relancé dans l'aventure pour un ouvrage en tout point similaire. A quoi bon remettre le couvert ? Qu'est-ce que l'auteur peut apporter de plus ? Une décennie est passée, la société a connu quelques bouleversements et- comme tout le monde - Régis Jauffret a évolué, portant cette forme narrative à un véritable point de perfection, aussi bien dans la maîtrise de l'écriture que dans la densité des faits et leur puissance évocatrice. Le sombre imaginaire de notre homme n'a pas changé et, au fil des pages, il est question de pulsions meurtrières, de maladies (le cancer, en particulier, revient de manière récurrente), de troubles psychiatriques, du deuil et de la vieillesse. Déviant ou pas, le sexe est triste, le désir morne. Décrit de cette manière, "Microfictions 2018" pourrait sembler désespérant; il s'avère paradoxalement stimulant, enthousiasmant, car Jauffret pousse le curseur très loin dans l'exploration des tabous, transcendant toutes nos pensées et angoisses les plus honteuses. Et avec quel style ! Quel sens de la métaphore ! Il exacerbe les situations qui pourraient sembler scabreuses ou immorales en magnifiques saynètes de théâtre " grand guignol ". A l'image des titres de ses drôles d'histoires ténébreuses : "Le psychisme fragile des teckels", "Les stagiaires sont des putains", "Moi le sein et lui la prostate", "Notre Peugeot a été sauvée", "Petits d'animaux humains", "Elle a choisi Camel", "Auges caritatives"... Et si, l'air de rien, ces instantanés réunis en mosaïque constituaient un véritable portrait de l'humanité ? Rencontre avec un auteur souriant, même lorsqu'il raconte des horreurs...
Voir le numéro de la revue «Lire, 462, Février 2018»
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