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Mémoire traumatique et poutinisme / Pierre de Senarclens
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Les tyrans ne vivent pas en solitaire. En Russie, Vladimir Poutine bénéficie du concours massif des gens qui le soutiennent. Parmi ceux-ci, mentionnons ceux qui font partie des organes de sécurité de son régime. Il y a en particulier le FSB (Service fédéral de sécurité), qui matraque, emprisonne et torture ses opposants, alors que les forces militaires poursuivent la guerre qu'il a engagée contre l'Ukraine, commettant toutes sortes de crimes à l'égard de la population civile de cet État, notamment en bombardant ses villes et ses villages. La société russe n'est pas en reste. Par conviction, connivence ou impuissance, sa majorité appuie le Kremlin ou ne contredit pas les châtiments collectifs qu'il impose à ceux qui font valoir leur droit à la liberté ou qui contestent le bien-fondé de la guerre en Ukraine. Il est vrai que les opposants à ce pouvoir sont assassinés, condamnés à la prison ou à l'exil. Ce soutien et cette endurance à la tyrannie ont incontestablement une assise culturelle. Ils témoignent des séquelles du stalinisme, et plus en amont encore de l'héritage du tsarisme et du servage. En Russie comme ailleurs, on ne se débarrasse pas du passé, surtout lorsqu'il est marqué par l'expérience du totalitarisme. On peinerait à repérer en Russie des lieux de mémoire " édifiants ", selon le modèle proposé dans les années quatre-vingt par Pierre Nora pour redonner sens à une histoire de France troublée par les tragédies du XXe siècle.
Voir le numéro de la revue «Revue des deux mondes, 2024-7, 01/10/24»
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