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Memento en vert et bleu / Yannick Mercoyrol, Jean-Gilles Badaire
Livre
Edité par Le Temps qu'il fait. [Mazères (Gironde)] - 2022
Tu inventes l’impossible : des autoportraits distanciés. Tu peins ton portrait à 65 ans de distance, à partir de photos qui sont comme des reliquaires dérisoires d’une mémoire parcellaire qui n’a jamais existé que par le truchement de l’image. Qui est celui dont tu fais ici le portrait ? Seuls les témoignages des autres certifient sa présence : ils t’ont reconnu, et affirmé cette filiation qui construit, sur cet unique fondement, ta propre reconnaissance, le fait que tu puisses te reconnaître, là, sur cette plage. L’image est un savoir médiatisé, et seule cette médiation fragile, cette attestation a posteriori permet de dire : c’est moi. L’autre donne quitus, sur sa seule foi, à l’existence de soi enfant, tel qu’il apparaît sur la photo déjà ancienne, un peu écornée, virant au sépia de l’archive. Alors peindre, ce serait ici construire sa propre image, effacer l’identité précaire édictée par autrui en vertu d’une photo indécise. C’est substituer son image à celle de la photo, écarter l’impression photographique pour confier son identité au tableau que l’on compose, c’est reprendre la main sur soi. Et peut-être ce déplacement signifie-t-il, dans sa netteté, que tout autoportrait consisterait à peindre soi-même et l’autre, qu’il serait une peinture de l’entre deux, l’endroit exact où j’apparais en me frottant à l’altérité. En peignant cet autoportrait de l’artiste en enfant, tu attestes que tout autoportrait est un risque insensé et magnifique, parce qu’il désigne un interstice, et éclaire l’endroit obscur où je suis sans être moi.