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Vox aurea, via sacra : actes : à la croisée des chants sacrés et des chansons traditionnels : colloque & concerts, 9 et 10 septembre 2016, Cité de l'Or, Eglise Saint-Amand, Saint-Amand-Montrond / [textes réunis par Marie-Reine Renon et présentés par Thierry Vinçon]
Livre
Edité par Ville de Saint-Amand-Montrond - 2017
Le Sacré est difficile à définir parce qu’il se ressent, plutôt qu’il se dépeint par des mots. La sociologie, l’anthropologie s’efforcent de le délimiter, et l’ethnologie montre qu’il est différent suivant les points du globe. Les mythes l’expliquent. Les rites, desquels se dégagent une permanence et une universalité, le mettent en oeuvre. Toute une symbolique lui est attachée, qui correspond à certaines données fondamentales de la structure de l’univers. Les religions le gèrent, chacune à leur manière, comme les sociétés animistes, où il forme une forte relation triangulaire avec la nature et les êtres humains. Il s’agira de montrer qu’en regard du sacré, la bipartition entre musique sacrée et musique traditionnelle n’est jamais en terme d’opposition, mais bien en perspective de rencontre, comme les travaux de Jacques Viret le montrent à propos du chant grégorien. Nous réfléchirons à partir de chants de la France métropolitaine et de l’ïle de La Réunion, et de chants sardes, afro-américains et asiatiques. De la catégorie, très large, des chants sacrés, nous laisserons de côté les compositions savantes élaborées sur des textes appartenant à des corpus religieux, ou les évoquant. Nous retiendrons les chants rituels et liturgiques des religions du Livre, les cantiques au statut particulier, les chants des religions élémentaires, les incantations et les danses… La facture de tous ces chants, musiques du monde, à l’origine, de tradition orale, va d’une très simple expression à la plus grande luxuriance. Comme les membres d’une famille, des rites différents peuvent ressortir d’une même source. Dans tous les cas, les sons servant de pont pour communiquer avec l’immense et l’infini en unissant la nature à la surnature, la voix humaine devient un médiateur avec les dieux et les forces surnaturelles. Par chants traditionnels, nous ne visons pas ces chansons « folkloriques », que la mise en spectacle fige, et qui tendent à montrer le passé d’une musique, mais bien la chanson vivante, fonctionnelle, reflet de la vie et porteuse de sens, qui appartient à un patrimoine de culture populaire. À cet égard, le monde entier est orné d’une vraie mosaïque de cultures, dont la contiguïté tient lieu de richesse. Accompagnant les fêtes et les étapes de la vie, ce sont aussi de vrais chants rituels, qui racontent, ou font vivre une fonction (bercer, marcher, travailler…). Nous confronterons ces deux catégories de chants pour faire ressortir des universaux, et une « vérité sacrée », source d’inspiration et de créativité en plein devenir. Les éléments communs des musiques sacrées (orientales et occidentales) aux musiques traditionnelles sont nombreux. Leur influence mutuelle est à souligner. Les échelles constitutives, pauvres (de 2 à 4 ou 5 degrés), d’une partie de ces répertoires nous renvoient aux prototypes : ils sont tous sont issus d’un héritage de l’extrême antiquité de l’humanité, de couches communes de culture, de migrations, d’éléments, dont se retrouvent les traces à tous les niveaux de la culture du monde entier, en premier lieu, la tournure modale, avec sa profonde action psychologique. Loin d’être des brins secs d’herbiers ou des papillons épinglés, ces musiques, finalement «traditionnelles», vivent par la transmission. Chaque nouvelle interprétation apparaît comme une variante due à la fois aux limites de la mémoire humaine et à une pratique de mémorisation plus ou moins schématique. Elles bénéficient d’innovations successives et se transforment par l’intégration de nouveaux éléments apparus dans leur environnement, seules conditions de leur survie. Même certaines musiques sacrées des plus soigneusement « conservées » finissent par bouger aussi, au gré des générations. Il arrive que la dimension du sacré et ses rituels envahissent, voire « confisquent » ce qu’on appelle la « Tradition » ou la « Culture ». Tenant sa valeur de ce qu’il est, et non de ce qu’on en fait, le rite n’est pas identifiable à la Tradition. Cependant, avec « une efficacité d’ordre extra empirique », il contient et informe le principe de tradition vivante. Les chants rituels peuvent alors insuffler aux communautés et aux groupes un sentiment d’identité, non seulement spirituelle, mais aussi géographique et culturelle. De là à la revendication ethnique, il n’y a qu’un pas. Ainsi, la musique sacrée et musique traditionnelle – deux traditions, deux patrimoines immatériels, qui ont fait des civilisations – tissent des liens de renouveau en renouveau, entre le passé et le présent et entre les personnes qui les partagent. Mais, à la croisée de leurs chemins, elles échappent au temps, parce qu’elles nous viennent d’un ailleurs toujours présent.