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Désir sans intelligence. A propos de "Mektoub, My Love : Canto Uno" d'Abdellatif Kechiche (Le) / Marie Justice
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Le front de mer est radieux et la lumière envahit la salle. Nous croyons alors à des noces camusiennes portées à l'écran : à Tipasa, comme à Sète, "ce doit être cela, la jeunesse, ce dur tête-à-tête avec la mort, cette peur physique de l'animal qui aime le soleil". Dans la scène d'ouverture, l'acteur principal, Shaïn Boumedine, s'arrête devant une maisonnette et observe par la fenêtre le seul endroit où un acte sexuel est explicitement montré, pulsion scopique initiale qui donne le ton du film et le structurera jusqu'au bout. "Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. Etreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du soleil vers la mer" : c'est encore Camus à qui nous pensons lorsque nous découvrons une sensualité pleine et impudique, poésie de l'érotique qui échappe encore à toute tentation doctrinaire. Il serait en effet injuste de nier le talent d'Abdellatif Kechiche, son esthétique solaire et la beauté des corps dévoilés. Il serait dangereux pourtant de nous laisser assommer par la plastique virtuose de l'oeuvre sans souligner les nombreux clichés qui servent le propos du film : le triptyque sacré de la putain, de la maman et de la vierge, la paresse lascive des hommes (arabes), l'inanité du langage devant le charnel. Nous aurions voulu la hardiesse de l'irrévérence et nous voici face à la pauvreté d'un désir monolithique.
Voir le numéro de la revue «Esprit, 445, Juin 2018»
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