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For Bunita Marcus / Morton Feldman
Document sonore
Edité par Hyperion Records - 2017
A de multiples reprises, Morton Feldman a dédié ses compositions à ses amis peintres, musiciens ou écrivains, les baptisant simplement du patronyme de leur dédicataire. Parmi celles-ci, "For Bunita Marcus" est le cadeau d'un maître à l'élève avec laquelle s'était tissée une proximité quasi-fusionnelle. Emblématique de sa dernière période, lorsque Feldman s'était mis à étirer les durées à l'extrême, l'oeuvre est l'une des plus enregistrées du compositeur. La surprise vient de ce que Marc-André Hamelin, étiqueté pour son goût de répertoires d'une prodigieuse difficulté technique, que ses capacités digitales hors-normes lui permettent de maîtriser, se soit aventuré dans cette musique simple d'apparence, aux tempi alanguis, où les silences le disputent en importance aux notes. "For Bunita Marcus" règle en effet son compte à la barre de mesure et fait exploser le cadre de la pièce de piano classique. Mais au-delà de l'absence de structure, c'est à la quintessence du son que s'intéresse Feldman : privé d'attaque, l'identification de sa source devient impossible jusqu'à ce que s'éloigne, dans un halo, le paysage ainsi créé. Paysage ténu, réduit à l'infime, qui fera naître chez l'auditeur, selon sa sensibilité, des sensations antinomiques : relaxation au fil de la longue succession de notes à la limite du silence ou extrême tension créée par la tentation exacerbée de guetter le moindre événement comme s'il s'agissait du boson de Higgs. Le pianiste canadien, dont on admire toujours l'intelligence des oeuvres, réalise à la perfection les intentions du compositeur. Il nous fait entrer dans une réalité virtuelle, image sonore d'un "multivers" où il n'est question que de temps et d'espace. Comme en physique quantique, le miracle se produit lorsque l'énergie naît du vide.